Une seringue moléculaire ouvre la voie à de nouvelles approches thérapeutiques
Une équipe de l’UNIGE, de l’Institut Max Planck de Dortmund et de l’Université Heinrich Heine a identifié le mécanisme d’attaque de la toxine Tc, produite par certaines bactéries.

De l’avènement des méthodes CRISPR d’édition de gènes, récompensées par le prix Nobel, à l’introduction des vaccins à ARNm contre le COVID-19, le contrôle des biomolécules constitue l’une des avancées récentes les plus significatives de la science et de la médecine. Ces nouvelles biotechnologies nécessitent une connaissance précise des mécanismes moléculaires afin de les reproduire de manière contrôlée. Une équipe internationale incluant l’Université de Genève (UNIGE), l’Institut Max Planck de physiologie moléculaire de Dortmund et l’Université Heinrich Heine de Düsseldorf a acquis des connaissances importantes sur le mécanisme par lequel certaines bactéries pathogènes injectent des enzymes mortelles dans leurs hôtes. La compréhension moléculaire détaillée des différentes étapes de ce processus laisse entrevoir des applications potentielles des toxines Tc en biotechnologie, pour des dispositifs biomédicaux ou des biopesticides. L’étude est publiée dans Science Advances.
Les toxines Tc sont des complexes protéiques produits par certaines bactéries et agissent comme de minuscules seringues. Elles se fixent à la surface d’une cellule hôte et, lorsque les conditions sont réunies, finissent par injecter des enzymes nocives dans la cellule. Les mécanismes moléculaires qui sous-tendent la libération de la toxine Tc et l’intoxication - notamment l’activation de la toxine, la liaison au récepteur et la perméation de la membrane - ont déjà été décrits, notamment par le laboratoire de Stefan Raunser au Max Planck Institute. Toutefois, les détails de la procédure d’injection proprement dite restaient à découvrir, car ils reposent uniquement sur l’observation des états initiaux et finaux.
Observer et décrire ce type de mécanisme au niveau moléculaire
est extrêmement difficile.
La capacité d’imiter ou de contrôler ces modes d’action permettrait de développer des thérapies ciblées pour les infections bactériennes, des systèmes innovants d’administration de médicaments et des biopesticides respectueux de l’environnement. Par exemple, les systèmes innovants d’administration de médicaments visent à améliorer la précision et l’efficacité des traitements, en veillant à ce que les médicaments soient délivrés directement au site cible dans le corps. Par exemple, les cellules cancéreuses, en minimisant les dommages aux tissus sains. Néanmoins, la mise en place de ces stratégies prometteuses nécessite une compréhension détaillée du processus naturel d’infection par ces toxines.
Une observation très complexe
Dans un travail récent de l’UNIGE, de l’Institut Max Planck de physiologie moléculaire et de l’Université Heinrich-Heine de Düsseldorf, des chercheuses et chercheurs ont utilisé une combinaison de techniques pour dévoiler le détail des mécanismes d’injection des toxines Tc, similaires à ceux d’une seringue: la cryo-microscopie électronique, la spectroscopie de fluorescence à molécule unique et la spectroscopie de résonance paramagnétique électronique (RPE). La Dre Svetlana Kucher, maître-assistante au Département de chimie physique de la Faculté des sciences de l’UNIGE, explique: «Cette combinaison permet de capturer à la fois les structures moléculaires individuelles en temps réel et la dynamique de masse, nous donnant ainsi une image sans précédent du mécanisme d’infection de la toxine Tc».
Enrica Bordignon, professeure ordinaire au Département de chimie physique et vice-doyenne de la Faculté des sciences de l’UNIGE, commente: «Ce fut une collaboration passionnante qui nous a permis de conclure que le mécanisme intuitif de la seringue pour l’injection de la toxine est en fait beaucoup plus complexe et qu’il comprend une voie à plusieurs états. L’approche interdisciplinaire adoptée a été déterminante pour aboutir à ce résultat».
Stefan Raunser, directeur de l’Institut Max Planck de physiologie moléculaire à Dortmund, explique: «Ces ‘‘machines’’ extrêmement précises peuvent sembler simples, car nous fabriquons et utilisons facilement une seringue pour injecter des matériaux à l’échelle humaine. Cependant, observer et décrire ce type de mécanisme au niveau moléculaire est extrêmement difficile. Connaître la séquence précise permettra de concevoir une nouvelle génération de biotechnologies telles que des seringues moléculaires pour des applications médicales».